j’en veux encore, toujours plus, insatiable
je veux les remuer à la pelle
la mémoire, je l’agrippe
comme autrefois
cette médaille bénie
une Vierge chassant les démons
me cramponne à elle, la retiens
pour nous deux, la mémoire
ses empreintes rouillées
par ta salive, et leurs figures
insistent, descendent et montent
de ma tête à ma paume
sur le fil fou d’un yo-yo
ton corps d’orante
chargé de sombres vocables
cognent dur les figures du souvenir
se heurtent les unes
les autres, indices bruyants
qui molestent mes phrases
chutes, sanglots, fatalité
tout y passe, observe-la
cette surenchère de nos deuils
à la queue leu leu
cette répétition de la fin
en cercles concentriques, qui fauche
notre maison en briques rouges
sa voisine et la suivante
la terre au grand complet
comme un raz-de-marée
cette cohue de fins, depuis
que le monde sensible
a commencé
or, c’est mon affaire, c’est ma vie
tu le sais bien, nos morts
par poignées
leur tatouage s’empourpre
dans ma chair, dans ma bouche
entre mes dents, leur débris d’âmes
cependant on ne le dit pas assez
leur vagabondage a lieu
ailleurs, à distance, au-dessus
de notre chaos humain
déformé par l’écho
les âmes, en chœur trépignent
amour, envie, dévastation, colère
peu importe, elles pataugent
les âmes en déroute
au fond de cette voûte
ce Ciel extravagant
le leur, le tien
parfois c’est fou, maman
on dirait des bandes de corbeaux
pris au piège
du Ciel, les âmes
[…]
Denise Desautels, « De futurs souvenirs », Pendant la mort, Montréal, Éditions Québec Amérique, 2002.