La vie avait jeté des paillettes
dans ses yeux
elle confondait dès lors le soui-manga et l’aigle
l’accolade distraite du pèlerin
aux fruits doux
qui auraient pu mûrir
lentement
longuement
dans les jardins
abrités par ses jupons d’antan
 
elle avait cru réinventer la roue, ma mère
mais sa gaieté ne faisait qu’ânonner
avec son balai elle dansait la polka
l’habillait d’un paletot et d’un haut-de-forme
lui faisait la révérence en lui disant :
« bonjour, Monsieur »
tandis que sa voix fêlée
se brisait
sur les murs d’un palais de ven
 
ma mère marchait dans la vie
comme un oiseau blessé bât de l’aile
toute musique pour elle
se limitait aux mélopées
de ses espoirs
fracassés contre sa couche
le cliquetis affolant la poursuivait sans cesse
comme le chant entêté
d’un squelette épinglé à son dos
 
elle avait les traits d’une Eurydice
fuyant la mort
ma mère
sur son chemin ni jardin ni fontaine
rien qu’une lune voilée et le sanglot splendide
du palais de vent qui s’écroule
et l’accompagne jusqu’à la fin de tout…

Marie-Célie Agnant, « Poème de ma mère », Balafres, Montréal, Éditions du CIDHICA, 1994.